Le feu crépitait calmement dans la cheminée, depuis une petite heure déjà maintenant. La salle sombre n’était éclairée que par le jeu d’ombre que dessinaient les flammes sur le mur et les rideaux tirés ne laissaient filtrer aucun rayon de lune. Un léger grincement retentissait de temps en temps dans la pièce, au rythme d’une chaise à bascule en bois qui n’était plus toute jeune visiblement. Dans cette chaise, une elfe aux cheveux roses étaient plongées dans ses pensées. Plusieurs oreillers dans le dos et derrière la tête, une couverture en laine couvrant son corps habillé d’une simple chemise beaucoup trop large pour elle, elle semblait bien partie pour passer la nuit ici. Le fait est que pour rejoindre sa chambre elle devait traverser un long couloir aux murs froids, au sol glacial et aussi vide qu’un bar à putes un dimanche matin dans une ville de croyants pratiquants. Elle aimait ce château. Depuis plusieurs jours qu’elle y vivait et elle n’avait jamais eu à se plaindre de quoi que ce soit. La pièce qui lui était réservée pour se reposer était chauffée, très confortable et elle l’avait décorée comme ça lui plaisait, son souverain était assez agréable, bien que cynique mais ça c’était avec tout le monde, avec elle et elle obtenait un revenu sans trop se fatiguer puisque en tant que membre de la garde prétorienne elle ne bougeait pas du château sans le chef du clan Cimiterio. Mais ça faisait surement partie du problème…

Elle avait accepté pour faire plaisir à ses parents, les rassurer en s’éloignant du danger, et au final elle s’ennuyait. Elle avait passé une bonne partie de sa vie à apprendre à se battre, et l’autre partie à se battre. Alors se pavaner à la cour en jolie robe de dame pour les beaux yeux des nobles, ça commençait légèrement à la saouler. Mais le pire c’était surement le manque de sa famille. Elle n’avait jamais vraiment quitté le nid familial et elle savait que si elle acceptait ce poste très précieux, elle devrait être là pour était le sujet de son job. Elle avait donc fini par emménager au château après avoir tout de même fait poireauter un petit moment le nouveau roi. Il lui avait laissé un instant de réflexion de toute façon alors elle n’avait eu aucune raison de se précipiter sur la proposition. C’est à ça que se laissaient aller ses pensées ce soir, alors qu’elle se retrouvait seule dans la grande pièce privée d’Ars. Bien sûr, elle en avait obtenu l’accès au bout de quelques semaines. Loyale, fidèle, elle ne dérangeait jamais rien et elle ne fouinait pas dans ce qui ne la regardait pas, alors c’était devenu une sorte de refuge pour lorsqu’elle voulait se laisser aller à la nostalgie. Le feu était devenu une sorte de confident à qui elle révélait toutes ses pensées par la simple force du regard. Un mélange de couleurs chaudes qui réchauffait son cœur et qui l’empêchait de laisser couler des larmes. Au fond, elle était encore une enfant. Une petite fille qui était habituée à sa mère cajoleuse et à son père protecteur. Une petite fille qui avait voulu son indépendance, qui arrivait très bien à la gérer, mais qui aimait se plonger dans les souvenirs du passé où elle n’avait strictement rien à faire.

D’ordinaire, elle laissait vagabonder ses émotions pendant deux bonnes heures alors que la chaise à bascule l’emportait dans un autre monde de pensées et de rêveries, mais ce soir un élément allait troubler sa quiétude. Le mouvement de la clenche qu’on actionnait pour ouvrir la porte la fit légèrement sursauter, éclatant la bulle de rêverie dans laquelle elle baignait. Le petit monde chaleureux et paisible qu’elle était en train de visiter venait de disparaitre, comme lorsqu’on est plongé dans la lecture d’un roman passionnant et qu’un bruit sourd retentit près de nous. C’était juste… Dérangeant. Du moins les premières secondes. Après, tout dépend de la raison de cet arrêt soudain du voyage spirituel. En l’occurrence, une fois qu’elle reconnut la forme qui traversait la pièce pour s’approcher, Moxxi laissa un faible sourire s’installer sur ses lèvres. C’était juste Ars. Enfin… « Juste ». Pour d’autre, il aurait fait l’objet de prosternation et de louanges ô combien mielleuses et sûrement fausses, mais l’archère n’avait jamais fait dans les fioritures et n’allait pas commencer maintenant. Elle adressa un regard doux au souverain, qu’elle avait pris l’habitude de lui adresser quand elle le voyait et qui témoignait autant de son respect que des salutations qu’elle aurait dû lui soumettre, avant de reporter son regard sur le feu. Alors qu’un léger frisson parcourait tout le long de son dos, elle remonta légèrement sa couverture sur elle.

Il fait froid ce soir… Le soleil décline en ce moment. Les journées ne sont plus aussi chaudes qu’avant… Vous n'aviez pas rendez-vous avec le comte de la ville Ouest ?

Après une centaine d’années de vie, la demoiselle avait pu en voir des vertes et des pas mûres en ce qui concernait le temps et il faut dire qu’elle s’était habituée à avoir chaud constamment. Le fait que la terre tourne et que le soleil bouge tout doucement ne lui plaisait guère, privée de sa chaleur habituelle elle se sentait fatiguée. C’est ça de vivre trop longtemps aussi, au bout d’un moment on n’apprécie plus forcément que nos petites habitudes soient changées.

Des préoccupations plus importantes que de s’occuper de la petite noblesse… Mais n’était-ce pas le rôle d’un roi ? L’elfe eut néanmoins la bonne idée de ne rien dire. Il n’est jamais bon de s’opposer à l’idée d’un roi, même lorsqu’il a tort. Et puis, après tout, ce n’était pas son problème. Le feu crépitait d’impatience, faisant plier le bois à son éternelle domination. Les yeux de Moxxi se perdirent quelques secondes dans les flammes pour se laisser aller à ses pensées qu’elle avait quitté lorsque Ars avait franchi la porte, puis elle reporta son attention sur son roi lorsqu’il reprit la parole. Une boule désagréable se forma alors à l’entente de ces paroles délicates, pour finalement retomber comme un poids dans son ventre. « Habituée » n’était pas vraiment le mot juste, mais disons qu’elle essayait de ne pas y penser. D’ailleurs, elle n’allait pas lui mentir non plus. Si elle avait fait autant de missions alors que d’autres auraient très bien pu le faire, ce n’était pas pour rien.

Mes pensées vagabondes y trouvent leur compte.

Sa famille lui manquait. Et si elle se trouvait là ce soir, comme lors de nombreuses nuits d’ailleurs, avachie sur ce fauteuil en fixant le feu, ce n’était pas juste pour la chaleur de la pièce qui était la même dans sa chambre. Elle revoyait à travers les flammes le visage souriant de sa mère, avec ses petites oreilles pointues qu’elle s’était amusée à percer de partout, et celui sévère mais aimant de son père qui piquait une crise quand elle faisait sa feignasse mais qui était le premier à paniquer lorsqu’elle se blessait. De nouveau, un sourire s’installa sur ses lèvres. Un sourire qu’elle perdit aussitôt quand elle entendit le roi s’installer dans son fauteuil. Elle n’était plus toute seule. Et le feu commençait à s’éteindre…

Un léger soupire s’échappa de sa gorge alors qu’elle repoussait à contrecœur sa couverture pour se lever et aller remettre des buches dans le feu, s’aidant d’une tige en métal pour les repousser le plus loin possible. C’est ça aussi, l’inconvénient avec le feu, il n’est pas éternel. Et il faut toujours se lever pour le faire redémarrer… Se redressant, elle bailla doucement, une main venant se poser machinalement devant sa bouche, tout en se dirigeant vers une petite table où étaient posés un verre et une cruche d’eau. Elle se servit un verre, en prit un propre pour le remplir d’eau également, et l’apporta à son roi, le posant près de lui sans lui donner non plus. Puis une petite pensée lui vint à l’esprit et elle reposa ses yeux verts sur le seigneur qui siégeait dans le siège privé sur lequel personne n’osait s’asseoir. Tant qu’elle était debout, et tant qu’elle n’était pas de nouveau blottie dans sa couverture, autant lui demander tout de suite.

Avez-vous besoin de quelque chose ?

Le message était clair. Elle allait retourner s’avachir dans son fauteuil et s’il voulait quelque chose, ça serait préférable qu’il se décide maintenant. Bon, bien sûr, si dans cinq minutes elle devait se relever pour assouvir ses envies elle le ferait, mais elle trouverait ensuite sûrement un prétexte pour quitter la pièce et aller se coucher. Autrement dit, pour fuir ses caprices royaux. Un roi, c’est comme un gosse. Tu lui donne un petit bout et il te prend le morceau entier. Quoi que celui-là n’était pas vraiment chiant. Un poil ronchon et arrogant, mais pas bien méchant. Du moins pas avec elle. Les villageois avaient du travail, ne crevaient pas de faim et, bien sûr il y avait quelques cas désespérés comme partout mais, globalement, les gens n’étaient pas malheureux. Quelques secondes d’inattentions prirent de nouveau l’elfe par surprise. Ça lui arrivait souvent en ce moment, sûrement à cause de l’âge… Plus le temps passait et plus elle entassait de souvenirs dans sa mémoire, qui parfois revenaient sans crier gars sous la simple vue d’un objet, l’écoute d’un mot ou l’odeur qui planait dans l’air. Là, ce fut les os que le lord avait rangé quelques minutes plus tôt qui attirèrent son attention.

Elle n’eut pas vraiment de souvenirs, plus un mélange d’images qui lui revenaient à l’esprit en se traversant les unes aux autres sans qu’elle n’ait le temps de les discerner, mais ça la « coupa » du monde extérieure quelques secondes. Finalement, d’un léger mouvement de la tête qu’elle secoua de gauche à droite pour se remettre les idées en place, elle reposa les yeux sur son roi, attendant de savoir s’il désirait oui ou non quelque chose ou si elle pouvait retourner s’affaler dans son fauteuil à bascule dont le grincement perpétuel du bois vieillit la berçait là où la majorité des gens trouvaient ça juste purement agaçant. D’ailleurs, jusque-là, Ars n’avait rien dit à ce propos, et ce n’était pas la première fois qu’il la rejoignait dans cette salle alors qu’elle se laissait aller à ses pensées. Donc… Elle supposait que ça ne le dérangeait pas. De toute façon, si jamais ça l’avait saoulé, elle ne doutait pas une seconde qu’il le lui aurait dit.